La prévention et le règlement des différends à travers l’Union européenne : la Commission rend son rapport
Écrit par Cassandra Larocque-Rigney, auxiliaire de recherche au Laboratoire de cyberjustice – Hiver 2020.
En septembre dernier, la Commission européenne a présenté son rapport sur l’application (le « Rapport ») de la Directive relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (la « Directive ») et du Règlement relatif au règlement en ligne des litiges de consommation (le « Règlement »). Celle-ci semble voir d’un bon œil ce qui a été mis en place à la suite des deux actes du Parlement et du Conseil, bien qu’elle note plusieurs modifications devant être apportées pour améliorer leur application.
Une obligation européenne d’accéder à un mode de PRD[1] et au RLL[2] pour des conflits de consommation
La Directive et le Règlement s’inscrivent dans la politique de l’Union européenne de protection des consommateurs en donnant à ceux-ci des moyens d’agir en cas de conflit survenant lors de l’exercice de leurs activités économiques. La Commission a ainsi élaboré un ensemble d’outils législatifs et non législatifs[3] ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité de l’application des droits des consommateurs dans les États membres, notamment par le biais du règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Cela s’est fait d’abord par l’édiction de normes non contraignantes[4], puis par de la législation sectorielle imposant aux États d’encourager[5] ou de garantir[6] l’accès à des modes de PRD.
La Directive enjoint les États membres à faciliter l’accès des consommateurs de l’UE à un mode de PRD et à veiller à ce que ceux-ci puissent s’adresser à des entités respectant des standards de qualité qu’elle édicte, favorisant ce type de règlement à l’amiable[7]. Ces entités sont soumises à un mécanisme de certification et de surveillance constant de la part des États membres. Les prestataires de services impliquent la participation d’une partie neutre, comme un médiateur, une chambre de recours ou un office de plaintes qui tente de résoudre le litige à l’aide d’un mode de PRD. Ceux-ci participent ainsi à la résolution de litiges nationaux et transfrontaliers relativement à des contrats de vente ou de service conclus entre un professionnel établi dans l’Union et un consommateur résidant dans l’Union[8], que ces contrats aient été conclus en ligne ou hors ligne.
Suivant un principe d’harmonisation minimale, la Directive laisse le champ libre aux États membres à plusieurs niveaux, notamment quant au statut, au modèle de financement et à la couverture territoriale et sectorielle de l’entité de PRD. De plus, la Directive ne prescrit pas de procédure particulière pour les modes de PRD. Ainsi, les États ont le choix de rendre obligatoire ou volontaire ce type de règlement et d’instaurer que les résultats obtenus par ces procédures soient ou non contraignants.
Au même moment, le Règlement a été adopté, mettant en place une plateforme européenne de RLL, créée et gérée par la Commission. La plateforme est un site web interactif multilingue pouvant être utilisé par les consommateurs afin de traiter des litiges de consommation concernant l’achat de produits ou de services effectué en ligne. Elle fournit des informations aux parties au litige sur la ou les entités de PRD compétentes dans leur juridiction et transmet le dossier à l’entité choisie par les parties. L’entité de PRD a accès à l’outil de gestion de dossier de la plateforme et peut ainsi traiter le dossier en ligne sur celle-ci.
La plateforme a été lancée en janvier 2016 pour les États membres de l’UE. Elle a également été rendue accessible pour tous les consommateurs et professionnels des pays de l’Espace économique européen un an plus tard. Au moment de la publication du Rapport, 460 entités de règlement extrajudiciaire étaient enregistrées sur la plateforme. Depuis son lancement, 8,5 millions de personnes ont visité la plateforme, qui a traité 120 000 litiges.
Malgré un processus et une plateforme à parfaire, des résultats encourageants
Au niveau de la mise en application de la Directive, alors que certains ont préféré adopter le système de liste fermée pour les entités de PRD, une liste complète des prestataires de services étant ainsi fournie dans les dispositions d’application et aucune autre entité ne pouvant être certifiée, la plupart des États ont plutôt opté pour une liste ouverte, où les entités demandent elles-mêmes à être certifiées suivant les exigences de la directive transposée en droit national. Le système de liste fermé a pour effet de restreindre le nombre d’entités de PRD, la quantité d’entités variant d’ailleurs énormément d’un État à un autre.
De plus, la majorité des États reconnaissent tous les types de procédures de règlement extrajudiciaire des litiges[9]. Cependant, quelques États, comme la France, ont décidé d’exclure l’arbitrage en matière de consommation. Cela n’est pas bien surprenant considérant la réticence de la France à accepter les clauses compromissoires, clauses obligeant les parties à avoir recours à un arbitre en cas de litige. En effet, celles-ci auraient pour effet de désavantager la partie plus faible, le consommateur, en raison des coûts et de la délocalisation fréquente du litige[10]. L’Allemagne a pour sa part exclu les procédures qui avaient pour effet d’imposer une solution au consommateur ou celles empêchant les consommateurs d’accéder aux tribunaux. Certains ont également permis le recours à des médiateurs d’entreprise.
En matière des exigences de qualités, plusieurs états ont fixé des contraintes supplémentaires ou plus strictes que celles prévues dans la Directive. Par exemple, la Directive nécessite que les personnes physiques offrant des services de PRD possèdent les connaissances et les aptitudes nécessaires ainsi qu’une compréhension générale du droit, tandis que l’Allemagne impose le recours à des avocats qualifiés ou à des médiateurs certifiés. La Tchécoslovaquie a pour sa part exigé un diplôme universitaire ou une maîtrise en droit. La question du coût de la procédure est un autre exemple intéressant. En effet, la Directive prévoyait que celle-ci pouvait être gratuite ou disponible à un coût modique. Cependant, la Tchécoslovaquie, l’Espagne, la France, la Lituanie et la Finlande ont opté pour la gratuité de la procédure pour le consommateur.
Enfin, selon le Rapport, la Directive a eu un effet bénéfique au niveau de la disponibilité et de la qualité du règlement extrajudiciaire des litiges. En effet, celui-ci a pu faire son entrée dans des pays où aucune procédure n’existait et a encouragé les autres États à revoir l’efficacité de leurs structures, à les compléter et à les actualiser, afin qu’elles correspondent aux exigences de la Directive. Ainsi, la Commission a remarqué une amélioration de la transparence des prestataires de services et des procédures de règlement, en plus d’une réduction des délais de traitement, d’une meilleure formation prodiguée au personnel, ainsi que d’une hausse de la satisfaction des utilisateurs.
Malgré ces améliorations, le rapport de la Commission fait cependant état d’une sous-utilisation du nouveau cadre de PRD. Elle a identifié trois défis limitant son efficacité maximale. Il s’agirait premièrement d’une sensibilisation insuffisante et d’une perception erronée du règlement extrajudiciaire des litiges. En effet, selon la Commission, dans certaines régions et certains secteurs du commerce de détail, celle-ci note que de fausses idées circuleraient au sujet de ce type de règlement, notamment concernant un certain favoritisme tant du côté du consommateur que du professionnel. Deuxièmement, les consommateurs et les professionnels auraient du mal à s’orienter en raison de la diversité des environnements de règlement extrajudiciaire. Finalement, il y aurait un manque de motivation des professionnels à participer aux procédures de PRD, la Commission notant que seulement un détaillant sur trois serait prêt à avoir recours à ce type de règlement.
Des mesures ont cependant été prises par la Commission et certains États membres afin de pallier ces défis. Ainsi, de nombreuses campagnes de communication afin de promouvoir le nouveau cadre de PRD ont été menées. De plus, certains États ont créé des portails en ligne afin d’aider les consommateurs à s’orienter à travers les différents prestataires de services de PRD. Finalement, relativement au dernier enjeu, des États ont rendu obligatoire la participation des professionnels aux modes de PRD au moyen de la législation nationale.
Au niveau de l’application du Règlement, la Commission déplore que dans près de 80 % de litiges soumis à la plateforme, le dossier ait été clôturé automatiquement à l’issue d’un délai de 30 jours en raison d’une absence de réponse du professionnel. Ce n’est que dans 2 % des cas que la plateforme a pu transmettre le litige à un prestataire de services à la suite d’une entente sur l’identité du prestataire entre les parties. La Commission se réjouit tout de même que dans près de 42 % des litiges soumis à un prestataire de services, les parties aient été en mesure de régler le litige de manière bilatérale. Ce nombre élevé de règlements tendrait à démontrer la valeur ajoutée de la plateforme, qui permet de faciliter une solution convenue de manière bilatérale à l’aide d’un prestataire de services.
La Commission note néanmoins deux inconvénients au fonctionnement de la plateforme, soit l’exigence selon laquelle les parties doivent se mettre d’accord sur un prestataire de services avant que la plateforme ne transmette le litige à l’entité concernée et le fait que la plateforme ne fasse que fournir un processus visant à orienter les litiges vers le prestataire. Ainsi, la plateforme ne répondrait que partiellement aux besoins des utilisateurs.
Afin de pallier les difficultés de la plateforme, la Commission a révisé la page d’accueil et la messagerie de la plateforme et a mis en place un système de retour d’information et de nouvelles pages d’information. Elle a également mené une campagne de communication visant à mieux faire connaître la plateforme aux professionnels et à renforcer son utilisation. Cela a eu pour effet d’augmenter le nombre de professionnels enregistrés sur la plateforme de 54 % en 2018 et de 24 % au cours des cinq premiers mois de l’année 2019. Le taux de satisfaction des utilisateurs est de 80 %. Malgré ces améliorations, la Commission a décidé de mettre en œuvre un plan d’action visant à mieux adapter la plateforme aux besoins des utilisateurs en fournissant des informations plus ciblées sur le droit des consommateurs et les voies de recours, en orientant plus efficacement les utilisateurs vers les mécanismes de recours les plus appropriés et en facilitant davantage les règlements directs.
Conclusion
La Commission a ainsi conclu que les modes de PRD et le RLL font désormais partie intégrante de l’application du droit de la consommation au sein de l’Union européenne, les consommateurs ayant accès à des procédures de haute qualité dans l’ensemble de l’Union et dans pratiquement tous les secteurs du commerce de détail. Elle croit tout de même nécessaire de mettre en œuvre un plan d’action afin de remédier à la sous-utilisation de la plateforme de RLL, notamment par son amélioration continue et par des efforts de communication.
[1] Prévention et règlement des différends.
[2] Règlement en ligne des litiges
[3] Annexe 1 du Rapport.
[4] Voir à cet effet la Recommandation 98/257/CE de la Commission du 30 mars 1998 concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, JO L 115 du 17.4.1998, p. 31 et la Recommandation 2001/310/CE de la Commission du 4 avril 2001 relative aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargées de la résolution consensuelle des litiges de consommation, JO L 109 du 19.4.2001, p. 56.
[5] Voir par exemple la Directive 2008/6/CE modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l’achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté, JO L 52 du 27.2.2008, p. 3, art. 19 (1) al 3.
[6] Voir par exemple la Directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédits aux consommateurs et abrogeant la directive 87/102/CEE du Conseil, JO L 133 du 22.5.2008, art. 24. [1]
[7] Art. 5 (1) de la Directive.
[8] Art. 2 (1) de la Directive. Il y a cependant quelques exceptions à l’application de cette directive (voir l’art. 2 (2)).
[9] Rapport, p. 6 (voir document PDF).
[10] Éric Loquin, « Arbitralité et protection des parties faibles », dans Droit international privé, Paris, Éditions Pedone, 2008, p. 135.
Ce contenu a été mis à jour le 9 juin 2020 à 13 h 30 min.