Les facettes technologiques du NCPC : Les interrogatoires à distance (4/7)
Par Antoine Guilmain (Ph.D. Candidate in Law (LL.D.) Université de Montréal and Université Paris 1)
Nous voilà en mars… souvent désignés comme étant « le mois des fous ». Mais d’où vient donc ce proverbe ? Pourquoi (diable) mars serait plus fou que les autres mois de l’année ? Notre enquête nous a conduits tout droit vers des souvenirs de la petite enfance. Un lièvre bondissant avec de la paille dans les oreilles qui vit dans une maison où tous les meubles sont découpés en forme de tête de lapin… cela vous évoque-t-il quelque chose ? Mais bien sûr ! Le lièvre de Mars, ce personnage apparaissant aux côtés du Chapelier fou dans le roman Alice au pays des merveilles. Lewis Caroll aurait en fait personnifié l’expression victorienne « fou comme un lièvre de Mars » – selon une croyance populaire, lors de la période de reproduction des lièvres (de février à septembre), les femelles qui ne sont pas réceptives repoussent les assauts des mâles avec leurs pattes avant. Mars est donc la saison des amours… et a fortiori le mois des fous.
Prenons la balle au bond et considérons une idée folle en plein mois des fous : et si les technologies de l’information pouvaient être mises à contribution pour tenir des interrogatoires ? C’est précisément la question que se veut couvrir ce quatrième billet de blogue « Les facettes technologiques du NCPC ». Depuis plusieurs années, le Législateur a voulu encourager la tenue d’interrogatoires à distance par tout moyen technologique (c.-à-d. téléconférence, visioconférence, technologies intégrées, réalité virtuelle, etc.). Et ce, tant pour les interrogatoires avant procès que ceux lors de l’audience. Nous nous proposons d’étudier ces deux cas de figure à l’aune du nouveau Code de procédure civile (ci-après NCPC).
1/ Les interrogatoires avant procès par un moyen technologique
En 2004, la Cour supérieure a modifié son Règlement de procédure civile pour autoriser les interrogatoires préalables, sur affidavit et d’un témoin hors de Cour par « vidéo-conférence ou par tout autre mode de communication » (art. 45.2 R.p.c.(C.S.)). Dans le même sens, l’article 18.5 du Règlement de procédure civile de la Cour supérieure (district de Québec) dispose que :
« Le tribunal peut autoriser un interrogatoire préalable, un interrogatoire sur affidavit ou un interrogatoire d’un témoin hors de Cour, par visioconférence si la façon proposée paraît fiable et proportionnée aux circonstances de l’affaire, compte tenu des installations accessibles, après un préavis de 48 heures au juge en son bureau (art. 4.1, 4.2 du Code de procédure civile et 2869, 2870, 2874 du Code civil). »
Ces dispositions constituent le fondement d’une multitude de décisions autorisant le recours aux technologies de l’information pour tenir des interrogatoires préalables, sur affidavit ou hors de Cour ; sous réserve toujours que le moyen technologique soit fiable et proportionné aux circonstances de l’affaire.
Cependant, contrairement à la Cour supérieure, la Cour du Québec ne disposait pas de règles de pratique permettant la tenue d’un interrogatoire à distance par voie technologique. Aussi, en se fondant sur une lecture tantôt restrictive tantôt extensive du Code de procédure civile, les tribunaux ont inégalement accepté le recours aux technologies de l’information pour interroger un témoin.
Face à une telle situation, le NCPC permet de clarifier la législation et d’unifier la jurisprudence. La tenue d’interrogatoires préalables à distance par un moyen technologique est dorénavant autorisée, et ce, quelle que soit la juridiction concernée. Les articles 227 al. 1 et 279 al. 4 NCPC doivent être mis perspective et dispose respectivement :
De plus, l’article 296 al. 1 NCPC permet de tenir des interrogatoires hors de Cour par un moyen technologique :
À ce stade, soulignons que la nécessité de voir le témoin est primordiale (ce que ne permettent pas les conférences téléphoniques ou les audioconférences, par exemple). C’est donc de manière dérogatoire à la règle générale, et après avoir pris l’avis des parties, que le tribunal peut autoriser d’entendre le témoin sans qu’il soit vu.
Par ailleurs, l’article 497 NCPC vient préciser que la comparution à distance est la règle lorsque le témoin réside dans une autre province ou un territoire du Canada. Toutefois, si le tribunal considère que la présence physique dudit témoin est nécessaire ou qu’elle peut être assurée sans inconvénient majeur, la comparution ne se fera pas par un moyen technologique. Le tribunal a donc un pouvoir d’appréciation relativement large.
® En continuité avec le passé, le NCPC autorise donc les interrogatoires préalables et hors de Cour par un moyen technologique avec toutefois une consolidation du régime.
2/ Les interrogatoires à l’audience par un moyen technologique
Sous le régime du Code de procédure civile, l’acceptabilité des interrogatoires à l’audience n’était pas unanime. Si certains juges autorisaient le recours aux moyens technologiques pour faire entendre un témoin durant l’instruction, d’autres au contraire la refusaient. Deux décisions illustrent bien cette situation ; passons-les successivement en revue.
D’une part, dans la décision Camerano c. 9015-0764 Québec inc., le juge Castonguay refuse que le témoignage d’une partie au procès puisse se tenir par voie de visioconférence. Selon lui, l’article 45.2 R.p.c.(C.S.) permet le recours aux moyens technologiques pour les interrogatoires hors de Cour, ce qui exclurait implicitement une telle possibilité pour le témoignage d’une partie dans le cadre d’un procès. Dans les mots du juge :
En substance, un tel raisonnement par déduction interprète le silence de la loi comme une interdiction. On est loin du dispositif audacieux de la juge Tremblay dans la décision Entreprises Robert Mazeroll Ltée c. Expertech – Batisseur de réseaux Inc.
D’autre part, dans la décision Affiliated Customs Brokers Ltd. c. Oy Beweship AB, la juge Langlois autorise de faire entendre des témoins par visioconférence lors de l’audition au fond. Au soutien de son jugement, la juge invoque l’article 45.2 R.p.c.(C.S.), mais également l’article 18.4 du Règlement de procédure civile de la Cour supérieure (district de Québec) qui dispose :
« Sur autorisation du tribunal, les témoins peuvent être entendus par visio-conférence lors de l’instruction d’une requête introductive d’instance après un préavis de sept jours au juge en son bureau. »
Alors même que cet article vise le district de Québec, et a fortiori pas celui de Montréal, la juge l’estime suffisant pour considérer que « la visioconférence s’avère désormais un moyen accepté pour faire entendre un témoin durant l’instruction. » Cette conclusion est d’ailleurs reprise dans la décision Gatti c. Barbosa Rodrigues. Pour finir, relevons la décision Cimi inc. c. CNH Canada inc. qui, en présence de l’accord des parties, permet que l’audition au procès d’un témoin se tienne par visioconférence.
® Le NCPC présente l’avantage d’offrir la possibilité de tenir des interrogatoires à l’audience par un moyen technologique, sans ambiguïté (article 279 NCPC). Là encore, la nécessité de voir le témoin est primordiale et constitue la règle (ce qui revient de facto à défavoriser les conférences téléphoniques ou les audioconférences).
Bilan
Le NCPC encadre les interrogatoires à distance par voie technologique avant procès et lors de l’audience – à l’inverse du C.p.c. Seulement, il s’agit bien d’une possibilité qui reste à l’entière discrétion du tribunal. L’article 26 al. 2 NCPC dispose en effet que le tribunal peut soit ordonner soit interdire le recours aux technologies pour tenir des interrogatoires, et ce, malgré l’accord des parties. Le tribunal a donc toujours le dernier mot. Cette disposition cadre parfaitement avec la volonté législative de renforcer l’autorité du tribunal lors du déroulement de l’instance. Le praticien se demandera volontiers : quels sont les éléments que prend en compte le tribunal pour autoriser un interrogatoire dématérialisé ? La réponse n’est pas évidente. Il n’y a en effet pas de critères précis et le tribunal se livre généralement à un test de proportionnalité au cas par cas. Parmi les décisions que nous avons répertoriées, Gatti c. Barbosa Rodrigues nous apparaît celle qui offre le dispositif le plus élaboré. La juge Roy prend en compte quatre facteurs pour, finalement, refuser de procéder à des interrogatoires par visioconférence : 1/ la fiabilité et l’installation disponible 2/ la durée des témoignages, la distance et les coûts 3/ les témoins et l’enjeu 4/ la disponibilité pour se déplacer.
Que faut-il donc retenir ? Le NCPC ouvre certes la porte aux interrogatoires à distance par voie technologique, mais le tribunal conserve un pouvoir discrétionnaire. En prenant de la hauteur, l’idée est toujours d’assurer une mainmise du tribunal sur l’équilibre entre, d’une part, l’utilisation des technologies de l’information, et d’autre part, le respect des exigences processuelles de base. Seulement, cela veut également dire que le NCPC ne se suffit pas à lui-même. Il revient avant tout au tribunal de prendre au sérieux l’option technologique en matière d’interrogatoires – en naviguant entre la crainte compulsive et l’émerveillement effréné. Pratico-pratique, nous dirions que le tribunal devrait toujours bien motiver sa décision lorsqu’il ordonne ou interdit un interrogatoire dématérialisé (c.-à-d. avec un test complet de proportionnalité).
Pour simplifier encore la donne, le NCPC n’est pas encore entré en vigueur et, lors des prochains mois, de nombreuses règles devraient être refondues pour mieux s’accorder à la réforme. En particulier, les règles de pratique (anciennement les règlements des tribunaux) devraient être modifiées, notamment pour mieux encadrer le recours aux technologies de l’information lors de l’instance civile. Cette étape est cruciale et pourrait poser certains critères pour recourir aux technologies audiovisuelles. Pour l’heure, on peut seulement constater que le NCPC encadre les interrogatoires à distance… il revient maintenant au Juge de faire écho au Législateur.
Antoine Guilmain
Ce contenu a été mis à jour le 31 août 2015 à 15 h 59 min.