Les facettes Technologiques du NCPC : le protocole de l’instance de l’avenir (7/7)
Par Antoine Guilmain (Ph.D. Candidate in Law (LL.D.) Université de Montréal and Université Paris 1)
« Ne pas planifier, c’est programmer l’échec. » (Auteur inconnu, mais plein de bon sens !)
Depuis plusieurs années, l’entente sur le déroulement de l’instance est devenue la pierre de touche de la procédure civile. Comme le résume le juge François Rolland, « la négociation de cette entente met en quelque sorte la table pour tout le déroulement de l’instance, et constitue un outil déterminant pour la suite des choses si on lui fait bien remplir son rôle. »
Il s’agit, concrètement, d’un échéancier convenu entre les parties recensant les divers actes de procédure et démarches à effectuer. Une date limite doit être prévue pour la réalisation de chacune des étapes, pour ne pas excéder le délai de rigueur. Il faut notamment prévoir : (1) si vous avez l’intention d’opposer des moyens préliminaires, et dans quel délai ; (2) si vous désirez procéder à des interrogatoires préalables, et dans quel délai ; (3) si vous désirez produire un rapport d’expertise, et dans quel délai ; (4) à quelle date la défense et les pièces doivent être signifiées aux autres parties ; (5) ultimement, tout autre élément utile au déroulement efficace de l’instance. Les parties doivent signer l’entente avant de la déposer au greffe. En cas de désaccord, le tribunal doit statuer sur les points de mésentente ; il y a donc toujours une « supervision ». Depuis son implantation, les tribunaux ont établi que l’entente sur le déroulement de l’instance s’apparente à une sorte de « contrat judiciaire » qui impose aux parties une obligation de moyens raisonnables, mais que ce n’est pas un document rigide destiné à faire perdre des droits.
Comme vous pouvez vous en douter, le nouveau Code de procédure civile (ci-après « NCPC ») vient sensiblement modifier la donne. Premièrement, sur le plan terminologique, l’expression « entente sur le déroulement de l’instance » est désormais remplacée par « protocole de l’instance » (articles 148 et ss. NCPC) – terme que nous privilégierons pour la suite des développements. À cet égard, soulignons d’emblée que le protocole de l’instance doit être distingué du « protocole judiciaire » (article 2 NCPC), inspiré du pre-action protocol à l’anglaise. Deuxièmement, sur le plan théorique, le NCPC accentue l’importance du protocole de l’instance, tout en élargissant le pouvoir de gestion du tribunal. Troisièmement, sur le plan pratique, le protocole de l’instance du NCPC conserve essentiellement le même contenu que l’entente sur le déroulement de l’instance du C.p.c. Cependant, le délai de dépôt au greffe a été sensiblement modifié, comme l’illustre le schéma ci-dessous :
Ceci étant dit, le protocole de l’instance ne remplit pas toujours son rôle ; « ce document, censé être une pièce maîtresse permettant d’accélérer la mise en état et possiblement le règlement d’un dossier, est vite devenu une formalité sans grande signification. » Pour renforcer l’efficacité du protocole de l’instance, les technologies ont un rôle à jouer. Ce septième blogue du cycle « Les facettes technologiques du NCPC » se veut donc présenter l’évolution du concept et le potentiel des technologies nouvelles.
La version « papier » du protocole de l’instance… le passé
À l’origine, l’élaboration du protocole de l’instance était entièrement dépendante du papier. Le processus pouvait paraître lent et fastidieux : préparer une première mouture du protocole de l’instance, négocier le contenu par le biais de nombreux appels téléphoniques ou courriels, faire concorder les différents emplois du temps, amender « à la main » les modifications effectuées au document, se réunir en personne pour signer la dernière version du protocole de l’instance pour finalement la déposer physiquement au greffe du tribunal. Et c’était sans compter les difficultés pour documenter le processus de négociation ou les changements intempestifs de calendrier. Ne nous y trompons, un tel modus operandi existe toujours – en tout ou en partie. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas entièrement satisfaisant : perte de temps considérable, utilisation d’une grande quantité de papier, rigidité pour la gestion du calendrier, faible documentation des négociations, manque de convivialité… la liste des travers est encore longue ! Sensible à cette réalité, le Comité de liaison de la Cour supérieure en matière civile du Barreau de Montréal s’est interrogé dès juin 2007 « Comment rendre le déroulement d’instance plus efficace ? » Une réponse a été de créer une entente sur le déroulement de l’instance interactive…
La version « interactive » du protocole de l’instance… le précurseur
Pour inciter les avocats à rédiger de meilleures ententes, le Barreau de Montréal, en collaboration avec la Cour supérieure, a initié un projet visant à offrir la possibilité aux procureurs de rédiger leur entente sur le déroulement de l’instance de façon interactive. Il s’agit d’un document PDF interactif (ou dynamique) indiquant, par des menus et des bulles d’information, tous les éléments qui doivent être inclus, par exemple la tenue des interrogatoires hors Cour si nécessaire, la période de négociation d’un règlement, la possibilité de faire des expertises communes et les vacances. L’entente sur le déroulement de l’instance interactive est toujours disponible ici. Malgré certaines faiblesses (notamment, l’ouverture du document en fonction du navigateur – nous recommandons Internet Explorer), c’est la première initiative visant à mettre à profit les technologies de l’information pour renforcer l’efficacité du déroulement de l’instance. L’idée était de « changer la culture de l’échange, amener les avocats à discuter davantage et faire ressortir leur côté conciliateur […] faire “vivre’’ l’entente sur le déroulement d’instance. » Depuis lors, l’informatisation du protocole de l’instance a fait un véritable bond, comme les exemples ci-dessous en témoignent.
La version « informatisée » du protocole de l’instance… le présent
Il existe aujourd’hui de nombreuses solutions logicielles qui proposent une informatisation, en tout ou en partie, du protocole de l’instance. En ce sens, notre recension ne prétend pas à l’exhaustivité, mais vise plutôt à donner un avant-goût de ce qui attend le praticien de demain.
Le Laboratoire de cyberjustice – instigateur du présent blogue – développe actuellement une application prévoyant une modélisation de la procédure d’entente sur le déroulement de l’instance, conformément aux règles de procédure civile en vigueur. Elle permettra aux avocats de négocier et de conclure en ligne les termes de l’échéancier sur le déroulement de l’instance (1), d’en générer une copie au format PDF (2) et de synchroniser leurs agendas électroniques en conséquence (3).
Lexop propose depuis récemment une plateforme informatisée sur laquelle les avocats peuvent gérer leurs échéanciers. La formule est la suivante : l’avocat crée l’échéancier, sur la base de gabarits prédéfinis en fonction du type de procédure qu’il peut adapter selon ses goûts, puis le partage avec son confrère ; des commentaires peuvent être échangés et des collaborateurs ajoutés ; un calculateur génère automatiquement les délais de rigueur ; le document final est ensuite accepté par chacun qui appose sa signature électronique, laquelle est protégée par un mot de passe ; les délais sont automatiquement synchronisés dans un calendrier Outlook/Gmail et des alertes par courriel et SMS sont envoyées ; l’inscription est gratuite et le montant de 16 dollars s’applique une fois l’échéancier partagé.
Jurisconcept offre une fonctionnalité d’entente sur le déroulement de l’instance, qui permet de générer une entente sous format d’un document Word, de créer automatiquement tous les rappels incluant le rappel de type « prescription » et de leur assigner un statut « confirmé » une fois l’entente signée par les parties et de sécuriser toute modification apportée à l’entente.
Todoc met à disposition un modèle d’entente sur le déroulement de l’instance, qui tient compte des principaux éléments relatifs à la transmission électronique sécurisée (plusieurs paragraphes relatifs aux modalités de transmission dans un document Word).
La version « intégrée » du protocole de l’instance… l’avenir
Toutes ces initiatives, aussi audacieuses soient elles, partagent pour le moment une limite commune : l’absence de soutien institutionnel du Ministère de la Justice. En effet, malgré une facilitation du processus de négociation, le protocole de l’instance doit toujours être imprimé, déposé au greffe et validé par la Cour pour obtenir une pleine application. La question se complexifie encore dans l’hypothèse où le juge établirait d’office le protocole de l’instance ; ce qu’il est en droit de faire en cas de mésentente entre les parties (article 152 NCPC). Il faudrait alors prévoir une entrée spécifique pour le juge sur le plan informatique. Seul un protocole de l’instance entièrement intégré permettrait de surmonter toutes ces difficultés, c’est-à-dire un guichet unique qui prendrait en charge tout le cycle de vie du protocole (élaboration du modèle, négociation entre les avocats, intervention du juge, dépôt au greffe et notification aux parties) et qui impliquerait l’ensemble des acteurs (parties, avocats et juge) – l’implication et la caution du Ministère de la Justice est en ce sens indispensable. Cette perspective semble impossible pour le moment, improbable pour demain… mais pourrait devenir inévitable. Au début des années 2000, qui aurait parié que l’entente sur le déroulement de l’instance papier passerait à un protocole de l’instance informatisé ? Pas grand monde… et pourtant cette période n’est pas si éloignée !
Conclusion : la fin d’un cycle, le début d’une ère
Ce papier marque la fin du cycle de billets de blogue portant sur « Les facettes technologiques du NCPC », initié par le Laboratoire de cyberjustice en novembre 2014. Nous avons traité tous azimuts de transmission technologique des actes de procédure, d’interrogatoires à distance, en passant par la règle d’application de faveur aux technologies ou le principe directeur de proportionnalité, sans oublier le règlement en ligne des différents – nous renvoyons à un récent billet de synthèse.
Mais surtout, c’est le début d’une nouvelle ère, celle du nouveau Code de procédure civile qui entrera en vigueur à l’hiver prochain. Le NCPC présente un véritable potentiel pour entrer de plain-pied dans l’ère de la procédure technologique… à nous de le libérer ! Le Laboratoire de cyberjustice l’a bien compris et continuera d’accompagner cette réforme, aussi bien sur le plan théorique (publications et conférences) que pratique (solutions logicielles pour favoriser l’accès à la justice, notamment PARLe ou eRADA). La cyberjustice a résolument de beaux jours devant elle !
[L’auteur tient à remercier les professeurs Karim Benyekhlef et Nicolas Vermeys, sans lesquels ce cycle de billets de blogue n’aurait jamais pu voir le jour, de même que toute l’équipe du Laboratoire de cyberjustice, particulièrement Karine Gentelet, pour son soutien et sa disponibilité indéfectible.]
Ce contenu a été mis à jour le 14 septembre 2015 à 13 h 22 min.